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Colette et Ginette

recueil de nouvelles de Mone Hellec-Le Beller

 

 

Extrait

 

 

Colette et Ginette

 

 

Qu’est-ce qu’elle fabrique encore ?
Colette frissonne. Cela ne fait pourtant pas bien longtemps qu’elle attend Ginette sur le banc face à la plage, mais une brise bien froide vient de se lever. Fin décembre, cela n’a rien d’étonnant… Il y a des moments où Colette se demande vraiment à quoi ça rime qu’elle et Ginette se retrouvent comme ça, tous les jours, sur ce banc, été comme hiver ! Les seuls manquements à cette règle sont les jours de grosse pluie. Et il faut bien admettre que ça arrive ! Alors, elles se retrouvent chez l’une ou chez l’autre, mais le cœur n’y est pas. Ce qu’elles aiment, c’est ce banc, face à la mer, et puis après, la promenade.


Colette resserre le grand châle aux couleurs vives qu’elle a posé sur un épais manteau. Elle se dit alors qu’elle doit vraiment avoir l’air d’une petite vieille. Ce n’est pas qu’elle soit coquette, Colette, loin de là ! Sous son manteau, elle porte sa blouse de tous les jours. Une de ces blouses à fleurs imposées par un curieux code du vêtement qui veut que, passée la cinquantaine, les femmes de village n’ont le droit de porter que ça, et rien d’autre. Malgré tout, Colette aime quand même penser qu’elle paraît plus jeune que son âge. D’ailleurs, on le lui a dit hier encore… C’était qui déjà ? Ah oui ! Le nouvel employé des postes à qui elle a offert un café lorsqu’il est passé lui apporter un paquet. Il était déjà passé chez Ginette qui, elle aussi, avait fait une commande à un organisme de vente par correspondance. Ils ont bavardé quelques instants. Comment ils en sont venus à parler d’âge, ça, elle ne s’en souvient plus, mais il lui a bien fait plaisir, le petit gars, quand il a déclaré qu’elle faisait bien plus jeune que Ginette ! Il aura certainement droit à un café à chacun de ses passages, peut-être même une bière de temps en temps, c’est vraiment un gars bien… Cependant, là, un peu tassée sur son banc, enfouie dans son gros manteau et son châle, il n’y a pas de doute, elle fait son âge, et peut-être même plus. Tant pis. Elle a vraiment trop froid. De toute façon, il n’y a personne, ni sur la plage, ni sur la promenade, alors, qu’est-ce que ça peut bien faire ?


Et cette sotte de Ginette qui n’est pas encore là ! Colette a horreur d’attendre, d’attendre Ginette en particulier. Et neuf fois sur dix, Ginette est en retard ! Colette se dit que Ginette ne le fait sans doute pas exprès, elle est bien trop bonnasse pour cela, non, c’est simplement qu’elle est lente. Lente et agaçante ! Elle a toujours été ainsi… Colette en sait quelque chose, elles se connaissent depuis qu’elles sont toutes petites ! Mais comment fait-elle pour la supporter encore, après tout ce temps ? Parfois, elle ne se comprend pas. Aujourd’hui, par exemple… Ginette va arriver bien sûr, et elle va arriver en disant : « Ben, ça y est, je suis là ! » Colette aura beau lui faire des reproches, lui demander pourquoi elle est en retard, elle n’aura aucune explication qui se tienne à offrir. Mais cela ne va pas l’empêcher de lui en faire, des reproches ! Elle va se gêner, peut-être ! Ça la réchauffera de râler un bon coup.


Un petit rire aigre entoure Colette quelques instants avant de se disperser dans la brise qui a fraîchi encore un peu. Un petit rire très discret cependant, et s’il y avait eu des gens sur la promenade à ce moment-là, ils l’auraient à peine entendu. De plus, si quelqu’un lui avait demandé pourquoi elle riait, elle aurait certainement assuré d’un air revêche qu’elle ne riait pas, ça ne va pas, non ? Et pourtant, si bien sûr, elle riait… Elle riait parce que c’était drôle de penser que Ginette lui avait toujours servi à cela : à lui donner des occasions de râler. Et râler, on peut dire qu’elle aime ça !


D’ailleurs aujourd’hui, qu’est-ce qu’elle allait lui… Ah ! Elle arrivait enfin !


Tout en maintenant son châle bien serré, Colette s’est penchée sur sa gauche, vers le village, et elle a aperçu la petite silhouette maigrichonne de Ginette au bout de la promenade. Elle fait semblant de se presser… Et vous allez voir qu’elle va arriver essoufflée ! Un instant soulagée et calmée, Colette s’emploie tout aussitôt à faire remonter à la surface le profond agacement qu’elle ressentait quelques secondes auparavant.


Il ne faudrait quand même pas s’imaginer que Colette est vraiment mauvaise. Elle n’a pas bon caractère, c’est certain. De plus, on la dit gaffeuse, du genre à toujours dire aux gens précisément ce qu’ils ne veulent pas entendre. Elle accepte qu’on dise cela, et elle s’en vante même : oui, elle dit toujours ce qu’elle pense, c’est simplement qu’elle n’est pas du genre à mentir, elle ! Bien entendu, elle sait pertinemment que les mots ne lui échappent pas, qu’elle les maîtrise même parfaitement, et que lorsqu’elle blesse quelqu’un à coup de vérités, c’est qu’elle avait bel et bien l’intention de blesser. Mais cela, bien sûr, elle ne l’admet pas. Enfin, tout cela n’a plus guère d’importance maintenant. Qui pourrait-elle bien blesser ? Son mari, Jean, est mort. Ses enfants, beaux-enfants et petits-enfants sont loin, hors de portée. Elle leur écrit bien une petite vacherie de temps en temps, juste pour s’entretenir, mais ce n’est pas pareil. Il lui reste quelques amies, des copines plutôt, au village… Des vieilles, comme elle. Et leurs vies, à toutes, sont tellement monotones… Jamais rien de neuf… Tout a déjà été dit. En cherchant bien, parfois, il lui arrive de trouver encore une petite méchanceté à balancer de temps à autre, mais ce n’est pas facile, cela demande des efforts, et ne lui procure pas grand plaisir.

 

 

à suivre...

 

 

 

 

Accompagnée de François-Marie Ferré qui dédicaça son Manuel de survie en territoire amoureux et de Cyrille Cléran qui présenta La Transparence, Une nouvelle aventure de Jim la Terreur et Louisette Number One, Mone Hellec-Le Beller signa son recueil, le 7 décembre 2013 à la librairie L'Encre de Bretagne, 28 rue Saint-Melaine.

 

Vous pouvez dès à présent commander cet excellent recueil auprès de nos services diligents.

 

ISBN : 978-2-919265-41-1

116 pages, 10,5 × 14,5 cm
Préface de Steven Pravong
Imprimé en Bretagne
12 €

 

Cet ouvrage est également disponible à Rennes à la librairie L'Encre de Bretagne, 28 rue Saint-Melaine,

à la librairie Greenwich, 1 rue Jaurès,

ainsi qu'au bar-librairie La Cour des Miracles, 18 rue de Penhoët.

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